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Notes sur la composition de Confession : (Juin 2011)

 

            Au moment de commencer le travail de composition de Confession, Jacque TRUSSEL et sa co-librettiste Margaret VIGNOLA avaient déjà ébauché les grandes lignes de leur livret et avaient une idée assez précise du style musical qu’il souhaitait employer. Celui-ci inclurait certains éléments de la partition de Suor Angelica, tels que le thème d’introduction des cloches, un certain sens de l’intimité dans la manière dont les personnages seraient dépeints musicalement, et utiliserait aussi un style d’écriture vocal assez dramatique, de façon à ce qu’on puisse faire jouer Confesion suivi de Suor Angelica comme un tout organique.

            Il semblait également important que, d’un point de vue stylistique, le nouvel opéra ne soit pas simplement une parodie de l’idiome puccinien et qu’il devait avoir sa propre voix.

            En tant que compositeur, cette demande double et contradictoire signifiait que je devais garder Suor Angelica à l’esprit constamment, de façon à ce que Confession assure son rôle de complément mais, dans le même temps, il me fallait tourner le dos à la musique de Puccini afin de ne pas être tenter d’imiter sa sonorité, si universellement reconnaissable.

            Ainsi, dès que j’avais choisi le matériel que j’allais utiliser issu de Suor Angelica, je décidais de ne plus ouvrir la partition ou jouer un enregistrement, sauf pour m’en remémorer certains détails. Je préférais me tourner vers d’autres partitions du répertoire de l’opéra ou de la mélodie, et les étudier dans le but de trouver les éléments qui me permettraient de remplir ces conditions. Je formais ainsi progressivement une palette de références qui me permettait de composer ma propre musique.

            J’essayais ensuite d’imaginer un univers musical propre à chaque personnage, qui illustrerait à la fois leurs traits psychologiques et leurs relations avec les autres personnages. Étant donné que l’action de Confession se déroule plusieurs années avant celle de Suor Angelica, les personnages ne pouvaient pas y être dépeints de la même façon qu’ils le sont dans l’opéra de Puccini, afin de souligner leurs différentes expériences de la vie entre les deux opéras.

 

            À titre d’exemple, le personnage de la Princesse dans Confession serait plus le reflet de la personnalité de Clytemnestre de Strauss que celui de la personnalité de la Princesse telle qu’elle apparaît dans Suor Angelica, particulièrement au regard de la relation à sa fille adoptive et nièce, Sophie. Bien qu’étant dans la fleur de son amertume et ayant la force de soutenir une querelle avec une jeune fille de 17 ans, elle ne possède pas encore les manières dignifiées qu’elle emploie dans Suor Angelica, ni le détachement monstrueux dont elle fait preuve face au destin tragique de sa fille adoptive.

            Afin d’illustrer sa nature innocente et la fraîcheur de son caractère, la personnalité musicale de Sophie tend plus vers l’univers de la mélodie. En fait, un des motifs qui l’accompagnent durant la dernière scène – la scène de la lettre à sa jeune sœur – alors qu’elle tente d’imaginer le futur de son enfant, est dérivé d’une mélodie de l’opus 36 de Robert Schumann, Sonntags am Rhein, qui évoque aussi la notion de temps qui passe, et le sentiment à la fois rassurant et nostalgique que cela procure.

            Faisant une référence plus directe à Suor Angelica, un motif très simple de 8 croches en mode lydien qui apparaît une seule fois dans l’opéra de Puccini – exactement 5 mesures avant le chiffre 47 – au moment où Angelica se remémore la dernière fois qu’elle a vu sa sœur – sert de point de départ à la personnalité musicale d’Anna Viola.

            Ce réseau de références croisées entre différentes sources d’inspiration se reflète aussi dans la façon dont Confession est construit en tant que pièce musicale. Au moment d’en démarrer la composition, je n’avais qu’une expérience des formes courtes et il me fallait une méthode pour composer plus d’une heure de musique continue. J’ai donc naturellement pris le livret comme le guide principal pour la structuration musicale de l’opéra.

            Étant divisé en 6 scènes, je décidais de l’utiliser comme une trame sur laquelle chaque scène serait composée et traitée comme une pièce indépendante. Mais elles seraient toutes reliées à travers l’opéra par des éléments musicaux tels que des motifs, des tonalités, des harmonies, etc…

            De la même façon, je divisais chaque scène en sous-sections selon ce que le livret permettait en termes de subdivisions, et je mettais en musique le texte ainsi, section par section. On pourrait donc considérer l’agrégat de chacune de ses sous-sections comme autant de pièces individuelles ou de zones de développement, représentant toutes ensemble la forme complète de l’opéra. L’air du Prêtre dans la quatrième scène, qui se change ensuite en duo entre lui et Sophie, représente un exemple d’une section individuelle ayant ses propriétés spécifiques. La prière de Sophie à la fin de la sixième scène, avec son jeu de va-et-vient autour d’un simple demi-ton jusqu’au dernier climax de l’opéra, est un autre exemple de cette notion arborescente de développement musical.

 

            L’organisation ‘tonale’ de Confession est centrée autour de l’opposition entre si mineur et ré-bémol majeur. La tonalité de si mineur correspond aux forces négatives, au personnage de la Princesse notamment, qui fait sa première apparition dans cette clé puis qui le maintien et même l’impose à Sophie durant la cinquième scène. Ré-bémol majeur représente les forces positives et apaisantes. Ainsi, c’est le pôle tonal principal de la scène d’Anna Viola, du duo amoureux entre Sophie et Francis, du début de la scène de confession et du final de l’opéra, qui se termine dans le ton chaud et velouté de ré-bémol majeur.

 

            Bien que j’ai souhaité éviter que Confession sonne comme s’il avait pu être écrit par Puccini, j’ai tenté de relier les deux opéras par des éléments structurels sous-jacents. Par exemple, le mouvement tonal général de Suor Angelica et une quarte juste descendante, partant de fa au début de l’opéra et se concluant en do. De la même manière, l’arc tonal de Confession démarre en fa-d ièse et termine en ré-bémol.

            Un autre exemple de lien structurel est cette sorte de fausse conclusion qui apparaît au milieu de la scène 4 de Confession, au chiffre 75, en annonçant le motif ‘mystique’ et l’atmosphère de la fin de l’opéra, qui fait écho cette curieuse conclusion avortée que Puccini réalise dans Suor Angelica, au moment où le chœur des nonnes chante ‘Lodiamo la Vergine Santa’.

 

            Quelques éléments de symbolisme sont aussi utilisés dans la partition de Confession.

            Le mot ‘God’, qui présente 17 occurrences dans le livret, reçut un traitement musical particulier : chaque fois qu’il est prononcé, une relation de triton apparaît dans la musique qui l’accompagne, que se soit de manière harmonique ou mélodique, à l’exception des fois où Sophie le prononce, et ceux afin de souligner l’expression de sa foi (ainsi, bien que Sophie prononce le mot ‘God’ au chiffre 14, la relation de triton est toujours présente car elle ne parle pas pour elle-même mais au nom de Francis). Ce ‘moyen’ permet de souligner par un symbole musical la pureté et l’innocence de la foi de Sophie, préparant ainsi le miracle qui conclura Suor Angelica.

Le motif ‘mystique’ au chiffre 75 dans Confession (mentionné ci-dessus), fait d’une oscillation entre des accords majeurs et mineurs sur une pédale de dominante, apparaît également trois fois dans la partition, en référence à l’idée de Trinité. Sa seconde occurrence, qui a lieu lorsque Sophie demande pour la première fois son aide à la Vierge, est située à la section dorée de l’opéra, comme un symbole de la présence de Dieu à un point où l’équilibre de sa vie va être raient à travers sa foi.

 

            Enfin, les librettistes et moi n’ayant pas souhaité simplement créer un opéra basé sur le chef-d’œuvre de Puccini, mais ayant plutôt tenté de concevoir Confession comme un enrichissement à Suor Angelica, je voudrais suggérer que, idéalement, on puisse presque effacer de sa mémoire Suor Angelica avant d’entendre Confession, et qu’ensuite on réécoute Suor Angelica à la lumière de ce que propose Confession, dans la mesure où, en fin de compte, ce ne sont que deux épisodes dans la vie tragique d’une même héroïne.

Raphaël Lucas

COMPOSER



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